Page:Gontcharoff - Oblomoff, scènes de la vie russe, trad Artamoff, 1877.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
137
OBLOMOFF.

Dans cet attachement général se manifestaient encore des affections personnelles. Par exemple, Zakhare aimait plus le cocher que le cuisinier d’Oblomoff, la vachère Barbe plus que les deux premiers, et M. Élie moins qu’eux tous, et cependant à ses yeux le cuisinier d’Oblomoff était bien au-dessus de tous les cuisiniers du monde, et M. Élie au-dessus de tous les seigneurs de la terre.

Il ne pouvait sentir Tarasska le « buffetier[1], » mais ce Tarasska, il ne l’aurait pas troqué pour le meilleur homme du monde, et cela seulement parce que Tarasska était d’Oblomofka.

Il se montrait grossier et familier avec Oblomoff, tout à fait comme le chaman[2] est grossier et familier avec son idole. Le chaman l’époussète, et quelquefois la jette par terre et la frappe avec colère : pourtant au fond de son âme domine toujours l’idée que cette idole est d’une nature supérieure à la sienne.

Il suffisait de la cause la plus légère pour remuer ce sentiment au fond du cœur de Zakhare, et le forcer à regarder le barine avec vénération, et parfois à fondre en larmes d’attendrissement. Il n’y avait pas de danger que Zakhare mît un autre seigneur non-seulement au-dessus, mais même de ni-

  1. Domestique chargé du buffet.
  2. Prêtre bouddhiste chez les tribus qui occupent le nord de l’Asie.