Page:Gontcharoff - Oblomoff, scènes de la vie russe, trad Artamoff, 1877.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
176
OBLOMOFF.

— Justement ! Et moi ? qu’en dis-tu, moi, suis-je « un autre ? »

— Vous êtes tout à fait un autre ! fit Zakhare d’un ton lamentable, ne comprenant pas encore ce que voulait dire le barine. Dieu sait qui vous souffle tout cela[1]

— Je suis tout à fait un autre, hein ? Attends, vois ce que tu viens de dire. Examine un peu comment « un autre » vit. « Un autre » travaille sans relâche et se met en quatre, continua Oblomoff : s’il n’a pas travaillé, il ne mange pas. « Un autre » salue, « un autre » supplie, s’humilie… Et moi ? Voyons, prononce-toi : qu’en penses-tu ? « un autre, » est-ce moi, hein ?

— Cessez donc, monseigneur, de me faire languir avec ces mots lamentables ! dit Zakhare en suppliant, ah, Seigneur Dieu !

— Moi, « un autre ! » Mais est-ce que je me trémousse, est-ce que je travaille ? Ou bien est-ce que je me plains le manger ? Suis-je maigre ou ai-je l’air misérable ? Est-ce qu’il me manque quelque chose ? Il me semble que j’ai des gens pour me servir, pour me présenter ce dont j’ai besoin. Grâce à Dieu ! Je n’ai pas mis mes bas une seule fois depuis que je suis au monde ! Est-ce que je me donnerais cette peine ?

  1. Zakhare veut faire entendre que c’est le diable.