Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/108

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peux pas croire, je dois m’en aller. Je le sais, mère, les âmes des gens sont souillées… Tous sont pleins d’envie, tous veulent dévorer. Et comme les proies sont rares, chacun cherche à dévorer son prochain…

Il baissa la tête et se plongea dans ses réflexions.

— Je m’en irai seul par les hameaux et les villages. Je soulèverai le peuple. Il faut que le peuple lui-même parte à la conquête de la liberté. S’il sait comprendre, il trouvera une issue… J’essaierai donc de lui faire comprendre qu’il n’a personne en qui mettre son espoir, excepté lui-même, point de raison, si ce n’est la sienne. Voilà !

La mère eut pitié de Rybine, son sort l’effrayait. Il lui avait toujours été antipathique ; mais maintenant, il lui devenait soudain plus proche, plus familier.

— Pavel va d’un côté et lui de l’autre… Pavel aura moins de peine, pensa-t-elle involontairement ; elle dit à voix basse :

— On t’attrapera !

Rybine lui jeta un coup d’œil et répondit :

— On me relâchera. Et je recommencerai…

— Les paysans eux-mêmes te livreront… Et tu pourras rester en prison…

— J’en sortirai. Et j’irai de nouveau à mon ouvrage… Quant aux paysans ils me livreront une ou deux fois puis ils comprendront qu’ils feraient mieux de m’écouter. Je leur dirai : Ne me croyez pas, écoutez-moi seulement… Et s’ils m’écoutent ils me croiront !…

Les deux interlocuteurs parlaient lentement, comme s’ils pesaient chaque mot avant de le prononcer.

— Je n’aurai pas beaucoup de joies, mère, continua Rybine. J’ai vécu ici ces derniers temps et j’ai remarqué bien des choses. Voilà ! J’en ai compris quelques unes. Et maintenant, il me semble que j’enterre un enfant…

— Tu périras, Mikhaël Ivanovitch, déclara tristement la mère en hochant la tête.

Il fixa sur elle ses yeux noirs et profonds, avec un air d’interrogation. Son corps vigoureux était penché en avant, ses mains s’appuyant au siège de la chaise, son visage basané semblait pâle dans le cadre noir de la barbe.

— Tu sais ce que Jésus a dit du grain de blé : « Il