Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/11

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jusqu’au tombeau, les poussant à accomplir des actes hideux par leur cruauté inutile.

Les jours de fête, les jeunes gens rentraient tard, les vêtements en lambeaux, couverts de boue et de poussière ; les visages meurtris, ils se vantaient des coups qu’ils avaient portés à leurs camarades ; les injures subies les courrouçaient ou les faisaient pleurer, ils étaient pitoyables et ivres, malheureux et répugnants. Parfois, c’étaient les parents qui ramenaient à la maison leurs fils qu’ils avaient trouvés ivres-morts dans la rue ou au cabaret ; les injures et les coups pleuvaient sur les enfants abrutis ou excités par l’eau-de-vie ; puis on les mettait au lit avec plus ou moins de précaution et, le matin, on les réveillait dès que le rugissement de la sirène fendait l’air.

Bien qu’on injuriât les enfants et qu’on les frappât, leur ivrognerie et leurs rixes semblaient choses naturelles aux parents ; quand les pères étaient jeunes, ils avaient bu et s’étaient battus aussi ; et leurs pères et mères les avaient corrigés également. La vie avait toujours été pareille ; elle s’écoulait on ne sait où, régulière et lente comme un fleuve fangeux.

Parfois, apparaissaient dans le faubourg des étrangers qui, d’abord, attiraient l’attention, tout simplement parce qu’ils étaient inconnus ; mais bientôt on s’habituait à eux et ils passaient inaperçus. Il ressortait de leurs récits que partout la vie de l’ouvrier est la même. Et du moment qu’il en était ainsi, à quoi bon en parler ?

Il s’en trouvait cependant qui disaient des choses encore nouvelles pour le faubourg. On ne discutait pas avec eux ; on ne prêtait qu’une attention incrédule à leurs paroles bizarres, qui excitaient chez les uns une irritation aveugle, chez les autres une sorte d’inquiétude, tandis que d’autres encore se sentaient troublés par un vague espoir et se mettaient à boire encore plus que de coutume pour chasser cette émotion.

Si l’étranger manifestait quelque trait extraordinaire, les habitants du faubourg lui en tenaient longtemps rigueur et le traitaient avec une répulsion instinctive, comme s’ils craignaient de le voir apporter dans leur existence quelque chose qui en troublerait le cours pénible, mais calme. Accoutumés à être opprimés par