Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/119

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sortant de sa poche un étui à cigarettes, il se mit à fumer lentement. Du regard, il suivait les nuages de fumée grise qui se dissipaient au-dessus de sa tête, et soudain il éclata d’un rire étrange, pareil à l’aboiement d’un chien irrité :

— Oui, il doit y faire froid… Des blattes gelées parsèment probablement le plancher… les souris aussi ont dû crever de froid… Pélaguée Nilovna, permets-moi de passer la nuit chez toi, veux-tu ?

Il parlait d’une voix sourde, sans regarder la mère.

— Bien entendu ! répondit-elle vivement. Elle était gênée, mal à l’aise avec lui ; elle ne savait de quoi parler.

Mais il reprit d’une voix étrangement brisée :

— Maintenant le temps est venu où les enfants ont honte de leurs parents…

— Quoi ? demanda la mère avec un tressaillement.

Il lui jeta un coup d’œil, ferma les paupières, et son visage grêlé devint impassible.

— Je dis que les enfants commencent à avoir honte de leurs parents, répéta-t-il, et il soupira bruyamment. N’aie pas peur, ce n’est pas de toi que je parle. Jamais tu ne feras honte à Pavel… Mais moi, j’ai honte de mon père… Et je ne veux plus retourner chez lui… Je n’ai plus ni père, ni demeure !… Je suis sous la surveillance de la police, maintenant, sinon, je serais parti en Sibérie… Je crois qu’un homme qui ne ménagerait pas sa peine peut faire beaucoup de choses en Sibérie… J’aurais donné la liberté aux exilés, je les aurais aidés à s’enfuir…

Grâce à son cœur subtil, la mère sentait que le jeune homme souffrait ; mais la douleur du grêlé n’excitait pas sa compassion.

— Oui, bien entendu… s’il en est ainsi, il vaut mieux partir ! dit-elle pour ne pas l’offenser en gardant le silence.

André sortit de la cuisine, et demanda en riant :

— Qu’est-ce que tu racontes, hein ?

La mère se leva et dit :

— Je vais préparer quelque chose à manger.

Vessoftchikov regarda fixement le Petit-Russien et déclara soudain :

— Je dis qu’il y a des gens qu’il faut tuer !