Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/121

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— Voilà l’affaire ! s’écria le Petit-Russien, mais qui te reprocherait la vie même de ton père ? Les imbéciles !

— Les imbéciles… et les gens d’esprit aussi ! Ainsi toi, tu es un garçon intelligent, Pavel aussi… eh bien, me considérez-vous de la même manière que Fédia Mazine ou Samoïlov, ou comme vous vous considérez mutuellement ? Ne mens pas, je ne te croirais pas quand même… vous tous, vous me poussez de côté, vous me mettez à l’écart…

— Tu as l’âme malade, ami ! répondit le Petit-Russien d’une voix douce et affectueuse, en s’asseyant à côté de lui.

— Oui. La vôtre aussi souffre… Seulement vous croyez que vos ulcères sont plus nobles que les miens… Nous agissons tous en canailles les uns envers les autres… voilà ce que je dis… Et que peux-tu me répondre… hein ?

Il fixa son regard aigu sur André et attendit en découvrant ses dents. Son visage blême était impassible ; seules ses lèvres épaisses tremblaient comme si elles eussent été brûlées et contractées par quelque liquide caustique.

— Je ne te répondrai rien ! répliqua le Petit-Russien en caressant le regard hostile de Vessoftchikov avec le sourire lumineux et triste de ses yeux bleus… Je le sais bien… vouloir discuter avec quelqu’un dont le cœur saigne, c’est seulement l’irriter… je le sais, frère !

— On ne peut pas discuter avec moi, je ne sais pas discuter ! grommela le jeune homme, en baissant les yeux.

— Je crois que chacun de nous a marché pieds nus sur des éclats de verre, continua André, chacun de nous a respiré dans ses heures sombres, comme tu le fais maintenant…

— Tu ne peux rien dire qui m’apaise ! dit Vessoftchikov lentement. Rien ! Mon âme hurle comme un loup.

— Je n’en ai pas l’intention. Seulement, je sais que cela passera… Peut-être pas tout de suite, mais cela passera…

Il se mit à rire et reprit en frappant sur l’épaule du jeune homme :