Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/123

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André sortit.

Resté seul, Vessoftchikov jeta un coup d’œil autour de lui ; il étendit sa jambe, chaussée d’une lourde botte, la considéra, se pencha, tâta son gros mollet, puis il leva la main, en examina attentivement la paume et le dos. Sa main était épaisse et couverte d’un duvet jaune ; les doigts courts. Il les agita en l’air et se leva.

Quand André revint, portant le samovar, le grêlé devant le miroir, l’accueillit par ces paroles :

— Il y avait longtemps que je n’avais vu mon museau…

Il ajouta en souriant et en hochant la tête :

— Je suis bien laid…

— Qu’est-ce que cela peut te faire ? demanda André en le considérant avec curiosité.

— Sachenka dit que le visage est le miroir de l’âme, expliqua lentement le jeune homme.

— Ce n’est pas vrai ! s’écria le Petit-Russien. Elle a un nez crochu, des pommettes pointues comme des ciseaux et l’âme pareille à une étoile… d’une pureté…

Ils s’assirent pour prendre le thé et manger.

Vessoftchikov s’empara d’une grosse pomme de terre, sala un morceau de pain et se mit à mâcher tranquillement, lentement, comme un loup.

— Et comment vont les affaires ici ? reprit-il, la bouche pleine.

Lorsque André lui eut raconté avec enthousiasme combien la propagande socialiste se développait à la fabrique, il redevint sombre et dit d’une voix rauque :

— C’est bien long, tout cela ! Il faut aller plus vite…

La mère lui jeta un coup d’œil ; un sentiment hostile s’agita dans son cœur.

— La vie n’est pas un cheval, on ne la fait pas avancer à coups de fouet ! répliqua André.

Mais le grêlé hochait la tête avec opiniâtreté :

— C’est trop long ! Je n’ai pas assez de patience… Que faut-il que je fasse ?

Il laissa tomber ses bras avec découragement, regarda le Petit-Russien et se tut, attendant une réponse.

— Nous devons tous apprendre et enseigner aux autres, voilà notre tâche ! dit André en baissant la tête.

Vessoftchikov demanda :

— Et quand nous battrons-nous ?