Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/135

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rires de Natacha. Mais, quand elle était partie, il se mettait à siffler tristement ses innombrables chansons ; et il se promenait à travers la chambre en traînant les pieds.

Sachenka venait souvent ; elle était toujours morose et pressée ; elle devenait sans cesse plus âpre, plus anguleuse.

Une fois que Pavel était sorti de la maison pour l’accompagner, sans refermer la porte derrière lui, la mère entendit une rapide conversation :

— C’est vous qui porterez le drapeau ? demandait la jeune fille à voix basse.

— Oui !

— C’est décidé ?

— Oui, c’est mon droit !

— Et de nouveau la prison ?…

Pavel garda le silence.

— Vous ne pourriez pas… reprit Sachenka.

Puis elle s’interrompit.

— Quoi ? demanda Pavel.

— Laisser un autre…

— Non ! dit-il résolument.

— Réfléchissez… vous avez tant d’influence… on vous aime. Vous êtes les chefs ici, André et vous… que de choses vous pouvez faire en étant libres !… réfléchissez ! Car on vous exilera pour cela… très loin… et pour des années !…

Il parut à la mère qu’il y avait dans la voix de la jeune fille des sentiments qu’elle-même connaissait bien : de la peur et de l’anxiété. Et les paroles de Sachenka tombèrent sur son cœur de mère, comme de grosses gouttes d’eau glacée…

— Non, je suis décidé ! répondit Pavel. Je n’y renoncerai pour rien au monde…

— Même si je vous en priais… même si je…

Pavel l’interrompit vivement, d’une voix particulièrement sévère :

— Il ne faut pas parler ainsi… à quoi pensez-vous ? Vous ne devez pas parler ainsi !

— Je suis une créature humaine ! plaida-t-elle.

— Une bonne et douce créature ! répliqua Pavel à voix basse, d’un ton bizarre, comme s’il avait de la peine à respirer, une créature qui m’est chère… si