Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

debout près de la porte, fixait ses yeux attristés et affectueux sur la nuque ronde et sur le long cou d’André. Il se renversa en arrière, les mains appuyées au plancher, et regarda la mère et le fils avec des yeux un peu rougis :

— Vous êtes vraiment de braves gens ! dit-il à mi-voix.

Pavel se pencha et lui saisit le bras.

— Ne tire pas ! dit le Petit-Russien sourdement. Tu vas me faire tomber… Va-t-en…

— Pourquoi vous gênez-vous ? demanda la mère avec tristesse. Vous feriez mieux de vous embrasser, bien fort.

— Veux-tu ? dit Pavel à voix basse.

— Pourquoi pas ? répondit André en se levant.

Pavel se mit à genoux et les deux hommes s’étreignirent ; pendant un instant, les deux corps n’eurent qu’une seule âme qui brûlait d’une ardente amitié.

Des larmes coulaient sur le visage de la mère, mais elles n’avaient rien d’amer. Elle dit avec embarras en les essuyant :

— Les femmes aiment à pleurer… elles pleurent de joie comme de chagrin…

Le Petit-Russien écarta Pavel d’un léger mouvement de la main et fit, en se frottant les yeux :

— Assez ! Quand les veaux ont folâtré pendant quelque temps, on en fait du rôti. Ah ! quel diable de charbon ! J’ai tant soufflé que j’en ai plein les yeux…

Pavel s’assit près de la fenêtre, la tête inclinée :

— Il ne faut pas avoir honte de pleurer ces larmes-là !… dit-il doucement.

La mère s’approcha de lui et s’assit à ses côtés. Son cœur s’était rempli d’un sentiment de vaillance, doux et chaud.

— Qu’importe ! pensait-elle, en caressant la main de son fils. Il est impossible qu’il en soit autrement… il faut que ce soit ainsi !

Et d’autres pensées familières tournoyaient dans sa mémoire, mais elle n’en trouva aucune qui pût exprimer ce qu’elle éprouvait en cet instant.

— Je serrerai la vaisselle… petite mère, restez assise, dit le Petit-Russien en se levant et passant dans la pièce voisine. Reposez-vous… On vous a fait assez souffrir…

Et sa voix chantante se fit plus sonore, lorsqu’il fut hors de vue :