Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/161

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crépuscule… ils sont épais, sombres, ils avancent lentement…

— Vous parlez de Rybine ? interrompit la mère. On ne croirait pas qu’il a vécu à la fabrique… Il est redevenu tout à fait paysan… Il est terrible !

— C’est dommage que tu n’aies pas été là ! dit Pavel à André, qui, assis près de la fenêtre, contemplait son verre de thé d’un air sombre. Tu aurais pu voir le jeu d’un cœur, toi qui parles constamment de cœur ! Rybine a prononcé de ces paroles… J’en ai été renversé… suffoqué. Je n’ai su que lui répondre… Comme il est défiant envers les hommes et quel peu de valeur il leur attribue !… La mère a raison, cet homme porte une force terrible en lui !

— Je connais cela ! répliqua le Petit-Russien, du même air sombre. On a empoisonné les gens ! Quand ils se soulèveront, ils renverseront tout sans faire de distinction. Ils veulent la terre toute nue… et ils arracheront tout ce qui la recouvre…

Il parlait lentement, on sentait qu’il pensait à autre chose. La mère lui dit avec ménagement :

— Tu devrais te secouer, André !

— Attendez, petite mère chérie ! répliqua doucement André, attendez… Quoique je n’aie pas désiré cela, néanmoins c’est abominable !…

Et, s’animant soudain, il reprit en frappant du poing sur la table :

— Oui, tu as raison, Pavel ; notre paysan mettra la terre à nu, le jour où il se révoltera. Il brûlera tout, comme après une épidémie de peste, pour que toutes les traces de ses humiliations s’envolent en cendres…

— Et après, il nous fera obstacle ! continua Pavel à voix basse.

— Notre devoir sera de ne pas le lui permettre ! Notre devoir sera de le contenir, Pavel ! C’est nous qui sommes le plus près de lui… Il nous croira… il nous suivra !

— Sais-tu, Rybine nous demande de faire un journal pour la campagne !

— C’est très bien ! Il faut s’y mettre au plus vite !

— Je suis honteux, dit Pavel en riant, de n’avoir pas su discuter avec lui.