Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/170

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— Mais je ne dis rien de mal !…

À un autre endroit, une voix cria avec irritation :

— Si la police les attrape, ils sont perdus !

— « Si »…, mais les attrapera-t-elle ? répliqua une autre voix.

Un cri exaspéré poussé par une femme sortit d’une fenêtre et tomba dans la rue comme effrayé.

— Es-tu fou ?… tu es père de famille !… Eux, ils sont célibataires… cela leur est égal !…

Comme Pélaguée et les deux amis passaient devant la maison d’un estropié nommé Zossimov, auquel la fabrique servait une pension, celui-ci ouvrit la fenêtre et appela :

— Pavel, on te coupera la tête ! Brigand, que fais-tu ?…

La mère frémit et s’arrêta. Ces mots avaient fait naître en elle une colère aiguë. Jetant un coup d’œil sur le gros visage boursouflé de l’infirme caché derrière la fenêtre et qui continuait à jurer, elle hâta le pas pour rejoindre son fils et marcha à côté de lui, s’efforçant de ne pas rester en arrière.

André et Pavel semblaient ne rien voir, ne pas entendre les exclamations qu’on leur lançait. Ils marchaient tranquillement, sans hâte, parlant à haute voix de choses indifférentes. Mironov, homme d’âge mur, modeste et respecté pour la vie pure et sobre qu’il menait, les arrêta.

— Vous ne travaillez pas non plus, Danilo Ivanovitch ? demanda Pavel.

— Ma femme est près d’accoucher… et puis… il y a de l’agitation dans l’air, aujourd’hui, expliqua Mironov, en examinant attentivement les deux camarades. On dit que vous voulez faire du scandale à la direction, casser les vitres…

— Nous ne sommes pas ivres ! fit Pavel.

— Nous traverserons simplement la rue en portant des drapeaux et en chantant la chanson de la liberté ! dit le Petit-Russien. Écoutez nos chants, ils vous apprendront nos croyances !

— Je les connais déjà, répondit Mironov d’un ton pensif. J’ai lu vos feuillets… Comment, Pélaguée, toi aussi, tu es parmi les rebelles ! s’écria-t-il en souriant et en fixant sur la mère son regard intelligent.