Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/172

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que ce soit vrai. Il y a seulement deux races, deux peuples irréconciliables : les riches et les pauvres ! Les gens s’habillent différemment, leur langage aussi diffère ; mais quand on voit comment les seigneurs traitent le peuple, on comprend, que tous sont de véritables bachibouzouks pour les miséreux, une arête dans le gosier !…

Des rires éclatèrent dans la foule.

La cohue augmentait ; les gens se serraient les uns contre les autres dans la ruelle ; muets, ils tendaient le cou et se dressaient sur la pointe des pieds.

André éleva la voix.

— À l’étranger, les ouvriers ont déjà compris cette simple vérité. Et aujourd’hui, par cette claire journée du Premier Mai, les travailleurs fraternisent. Ils laissent leur ouvrage et sortent dans les rues des villes pour se voir, pour mesurer leur grande force. Ils vivent d’un seul cœur aujourd’hui, parce que tous les cœurs ont conscience de la force du peuple ouvrier, parce que l’amitié les rapproche et que chacun est prêt à sacrifier sa vie en luttant pour le bonheur de tous, pour la liberté et la justice pour tous !

— La police, cria quelqu’un.

Dix gendarmes à cheval tournèrent le coin de l’étroite ruelle ; ils se dirigeaient droit sur la foule en agitant leur fouet et en criant :

— Circulez !

— Qu’est-ce que ces conversations ?

— Qui parlait ?…

Les visages s’assombrirent ; les gens s’écartaient de mauvais gré pour laisser passer les chevaux. Quelques personnes grimpèrent sur les palissades. Puis des railleries se firent entendre.

— On a mis des porcs sur des chevaux, et ils grognent : — Nous aussi nous sommes de grands chefs ! cria une voix.

Le Petit-Russien seul était resté au milieu de la rue. Deux chevaux marchèrent sur lui en secouant la tête. Il fit un bond de côté ; en même temps, la mère, le saisit par le bras et l’entraîna en grommelant :

— Tu as promis de rester avec Pavel, et tu es le premier à t’exposer seul !