Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/177

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On eût dit une énorme trompette de cuivre qui résonnait aux oreilles des hommes, éveillant chez l’un le désir de combattre, chez l’autre un bonheur vague, le pressentiment de quelque chose de nouveau, une curiosité ardente. Ici, elle faisait naître la palpitation d’espoirs incertains, là, elle frayait une issue au torrent caustique de la haine amassée au cours des années. Tous regardaient en avant, à l’endroit où le drapeau rouge flottait.

— Vous marcher en chœur ! Bravo les enfants ! hurla une voix enthousiasmée.

Et l’homme, éprouvant sans doute un sentiment qu’il ne pouvait exprimer par les paroles coutumières, se mit à jurer avec énergie.

Mais la fureur aussi, la fureur sombre et aveugle de l’esclave, sifflait comme un serpent entre les dents serrées, se tordait en mots irrités.

— Hérétiques, cria quelqu’un d’une voix cassée en brandissant le poing à une fenêtre.

Et un glapissement perçant vrilla les oreilles de la mère.

— Comment ! se révolter contre Sa Majesté l’Empereur ! Contre le tsar !…

Des visages fripés passaient rapidement sous ses yeux. Des hommes et des femmes s’élançaient ; la foule coulait comme de sa lave noire, attirée par la chanson, dont les accents vigoureux semblaient déblayer la route. Dans le cœur de la mère, montait le désir de crier aux gens :

— Mes amis bien-aimés !…

Quand elle regardait au loin l’étendard rouge, elle apercevait, sans le distinguer nettement, le visage de son fils, son front bronzé, ses yeux illuminés de l’ardente flamme de la foi.

Maintenant, elle se trouvait aux derniers rangs de la foule, au milieu de gens qui marchaient sans se presser, qui regardaient en avant avec indifférence, avec la froide curiosité du spectateur pour lequel l’issue de la pièce n’a plus de secret et qui parle à mi-voix, avec un ton de certitude…

— Il y a une compagnie près de l’école, et une autre à la fabrique…

— Le gouverneur est arrivé…