Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/186

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Une voix aiguë et anxieuse s’éleva au-dessus de la foule :

— Chrétiens ! Mon Mitia… cette âme pure… qu’a-t-il fait ? Il a suivi ses camarades… ses camarades bien-aimés… Elle a raison… pourquoi abandonnons-nous nos enfants ? Quel mal ont-ils fait ?

Ces paroles firent trembler la mère ; elle leur répondit par de douces larmes.

— Rentre chez toi, Pélaguée. Va, mère ! tu es harassée ! dit Sizov d’une voix forte.

Il était sale, la barbe tout ébouriffée. Soudain, il fronça le sourcil, promena un regard sévère sur la foule, se redressa de toute sa hauteur, et dit d’une voix nette :

— Mon fils Matwéï a été écrasé à la fabrique, vous le savez. Mais s’il était vivant, je l’aurais moi-même envoyé se mettre dans les rangs de ceux-là… je lui aurais dit : Vas-y aussi, Matwéï, va, car c’est une cause juste, une cause sainte !

Il s’interrompit, les gens gardèrent le silence ; ils étaient envahis par la sensation d’on ne sait quoi de grand et de nouveau qui ne les effrayait déjà plus. Sizov leva le bras, l’agita et reprit :

— C’est un vieillard qui parle… Vous me connaissez tous ! Il y a trente-neuf ans que je travaille ici… Il y a cinquante-sept ans que je vis sur la terre. Mon neveu, un brave garçon, intelligent et honnête, a de nouveau été arrêté aujourd’hui… Il était aussi en avant, avec Vlassov, à côté du drapeau.

Son visage se crispa ; il continua en prenant la main de la mère :

— Cette femme a dit vrai… Les enfants veulent vivre dans l’honneur, selon la raison, et nous, nous les avons abandonnés… oui, nous les avons abandonnés. Rentre chez toi, Pélaguée !

— Mes amis, c’est pour nos enfants qu’est la vie, la terre est pour eux ! dit la mère en regardant la foule avec ses yeux rougis de larmes.

— Va chez toi, Pélaguée ! Tiens, prends ton bâton ! fit Sizov en lui tendant le débris de hampe.

On considérait la mère avec une tristesse respectueuse, une rumeur de compassion la suivait. Sans mot dire, Sizov lui frayait un passage, les gens s’écartaient sans récriminer et, obéissant à une force inexplicable,