Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/189

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DEUXIÈME PARTIE

I


… Le reste de la journée flotta dans un brouillard bariolé de souvenirs, dans une fatigue extrême qui oppressait le corps et l’âme. Comme une tache grise, le petit officier sautillait sous les yeux de la mère ; le visage bronzé de Pavel, les yeux souriants d’André luisaient dans un noir tourbillon mouvant…

La mère allait et venait dans la chambre, elle s’asseyait près de la fenêtre, regardait dans la rue, se levait de nouveau et fronçait les sourcils ; elle frémissait, regardait autour d’elle ; la tête vide, elle cherchait, ne sachant pas elle-même ce qu’elle désirait… Elle but de l’eau sans apaiser sa soif, sans éteindre dans son cœur l’ardent brasier d’angoisse et d’humiliation qui la consumait. La journée était coupée en deux parties, la première avait un sens et un contenu, mais la seconde était comme évaporée ; c’était un vide absolu. Pélaguée ne trouvait pas de réponse à la question pleine de perplexité qu’elle se posait :

— Que faire… maintenant ?

Maria Korsounova survint. Elle fit de grands gestes, cria, pleura, frappa du pied, proposa et promit on ne sait quoi, menaça on ne sait qui. Mais tout cela n’émut pas la mère.

— Ah ! disait la voix criarde de Maria, tout de même le peuple a été touché… Elle s’est levée, la fabrique, elle s’est levée tout entière !

— Oui, oui, répondit doucement Pélaguée en hochant la tête ; et ses yeux considéraient d’un regard fixe ce qui était devenu le passé, ce qui s’était éloigné d’elle avec André et Pavel. Elle ne pouvait pas pleurer. Son cœur était serré et aride ; ses lèvres aussi étaient sèches comme son gosier. Ses mains tremblaient ; de petits