Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/193

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Pélaguée se baissa, prit l’enfant et le plaça sur une charrette de planches à côté de laquelle marchait lentement Vessoftchikov ; celui-ci riait en disant :

— On m’a donné un travail pénible…

La rue était sale ; aux fenêtres des maisons, les gens se montraient et sifflaient, criaient, gesticulaient. Le jour était clair, le soleil brillait avec ardeur ; il n’y avait d’ombre nulle part.

— Chantez, petite mère ! disait le Petit-Russien. C’est la vie.

Et il chantait, dominant tous les bruits de sa bonne voix souriante. La mère le suivait et se plaignait :

— Pourquoi se moque-t-il de moi ?

Mais, soudain, elle recula et tomba dans un gouffre sans fond, qui grondait à son approche…

Pélaguée se réveilla, toute frissonnante, couverte de sueur, et prêta l’oreille à ce qui se passait en elle. Avec étonnement elle constata le vide de sa poitrine. On eût dit qu’une main lourde et fureteuse s’était emparée de son cœur et le serrait doucement, en un jeu cruel. La sirène hurlait avec obstination ; d’après le son, la mère calcula que c’était déjà le second appel. La chambre était en désordre ; les livres et les vêtements gisaient pêle-mêle sur le plancher sali ; tout était sans dessus dessous.

Elle se leva, commença à faire de l’ordre, sans se laver, ni même prier. À la cuisine, elle aperçut un bâton portant encore un lambeau de calicot rouge ; elle le prit d’un air irrité et allait le jeter sous le poêle ; mais elle soupira, enleva le fragment d’étoffe rouge, qu’elle plia soigneusement et le mit dans sa poche. Ensuite elle lava à grande eau le plancher et la fenêtre. Elle s’habilla et prépara le samovar, puis s’assit près de la fenêtre de la cuisine, en se répétant la même question que la veille :

— Que faire maintenant ?

Se rappelant qu’elle n’avait pas encore prié, elle se plaça pendant quelques instants devant les images et s’assit de nouveau. Son cœur était vide.

Le balancier de l’horloge qui tictaquait d’habitude avec agilité, avait ralenti ses coups précipités. Les mouches bourdonnaient hésitantes et se débattaient aveuglément contre les vitres…