Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/216

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— Nous voilà au but ! dit la mère en regardant autour d’elle avec inquiétude.

Près d’une hutte fermée de pieux et de branchages, quatre ouvriers dînaient, assis autour d’une table faite de trois planches brutes posées sur des pieux fichés dans le sol. C’étaient Rybine, tout noir, la chemise ouverte sur sa poitrine, Jéfim et deux autres jeunes gens. Rybine, le premier, aperçut les deux femmes ; il attendit en silence, s’abritant les yeux de sa main.

— Bonjour, frère Mikhaïl ! cria la mère de loin.

Il se leva et vint à leur rencontre sans se hâter ; lorsqu’il eut reconnu Pélaguée, il s’arrêta et caressa sa barbe.

— Nous allons en pèlerinage ! dit la mère en s’approchant. J’ai fait un détour pour te rendre visite. Voilà mon amie, elle s’appelle Anne…

Fière de son ingéniosité, elle regarda du coin de l’œil Sophie, qui restait grave et impassible.

— Bonjour ! dit Rybine avec un sourire morose. Il lui serra la main, salua Sophie et continua : Inutile de mentir, ce n’est pas la ville ; ici, on n’a pas besoin de mensonge. Ici, il n’y a que de braves gens, que l’on connaît…

Jéfim, toujours assis à la table, considérait avec attention les voyageuses ; il chuchota quelque chose à ses compagnons. Lorsque les femmes se rapprochèrent, il se leva, salua sans mot dire ; les deux autres restèrent immobiles, comme s’ils n’avaient pas aperçu les visiteuses.

— Nous sommes en reclus ici ! reprit Rybine, en frappant sur l’épaule de la mère. Personne ne vient nous voir, le patron n’est pas au village, sa femme est à l’hôpital, et moi, je suis maintenant une sorte d’intendant… Asseyez-vous. Voulez-vous du thé ? Jéfim, apporte donc du lait !

Lentement, Jéfim se rendit à la hutte, tandis que les voyageuses se débarrassaient de leur besace. Un des paysans, un grand gaillard maigre, se leva pour les aider. L’autre, déguenillé et trapu, s’était accoudé et regardait pensivement les femmes, en se grattant la tête et en fredonnant. L’arome étouffant du goudron frais se mêlait à l’odeur suffocante des feuilles pourries et faisait tourner la tête.