Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/225

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l’oreille à la conversation, il se mit à ramasser des copeaux de bois mort pour allumer le feu.

— Les visites intéressent tout le monde ! fit Jéfim en s’asseyant à côté de Sophie.

— Je vais t’aider, Ignati ! dit Jacob.

Il pénétra dans la hutte, d’où il rapporta un pain rond, qu’il coupa en tranches.

— Chut ! murmura Jéfim, on entend tousser…

Rybine prêta l’oreille et dit :

— Oui ! il vient !…

Et il expliqua en se tournant vers Sophie :

— Vous allez voir un témoin… J’aimerais pouvoir le mener dans les villes, l’exposer sur les places, pour que le peuple l’entende… Il dit toujours la même chose, mais il faut que tous l’entendent !…

L’obscurité et le silence devenaient plus profonds ; les voix résonnaient avec plus de douceur. Sophie et la mère suivaient des yeux les paysans, qui se mouvaient lourdement, lentement, avec une bizarre prudence.

Un homme voûté, de haute taille, sortit du bois ; il marchait en s’appuyant de toute sa force sur une canne ; on entendait le bruit de sa respiration rauque.

— Voilà Saveli ! s’écria Jacob.

— Me voici ! dit l’homme en s’arrêtant, secoué par la toux.

Il était vêtu d’un pardessus usé qui lui tombait sur les talons ; de son chapeau rond et fripé s’échappaient en mèches maigres des cheveux jaunâtres et raides. Son visage osseux et blême était recouvert d’une barbe blonde, sa bouche ouverte ; dans ses orbites profondément creusées, les yeux brillaient fiévreusement comme au fond de cavernes sombres.

Lorsque Rybine l’eut présenté à Sophie, le nouveau venu dit :

— Vous avez apporté des livres pour le peuple, à ce qu’il paraît ?

— Oui !

— Merci… pour le peuple… Il ne peut pas encore comprendre le livre de la vérité… il ne peut pas encore vous remercier… alors, moi, qui ai compris… je vous remercie en son nom…

Il respirait avec rapidité, avalant l’air par petites gorgées avides. La voix était saccadée. Les doigts décharnés