Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/231

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au monde. De temps à autre, l’un d’eux mettait avec précaution une bûche dans le foyer ; et les hommes dispersaient, en agitant la main, les étincelles et la fumée, pour les empêcher d’arriver jusqu’à Sophie.

À l’aurore, Sophie se tut, fatiguée, et regarda en souriant les visages pensifs et rassérénés qui l’entouraient.

— C’est le moment de partir ! dit la mère.

— Oui ! répondit Sophie avec lassitude.

Un des ouvriers soupira bruyamment.

— C’est dommage que vous partiez ! déclara Rybine avec une douceur inaccoutumée. Vous parlez bien ; c’est une grande chose que d’apparenter les gens entre eux ! Quand on comprend qu’il y a des millions d’êtres qui veulent la même chose que nous autres, le cœur devient meilleur… Et il y a une grande force dans la bonté.

— Et quand on agit avec douceur, on vous répond par la violence ! dit Jéfim avec un petit sourire et en se levant prestement. Il faut qu’elles partent, oncle Mikhaïl, avant qu’on les voie… Quand les livres seront distribués dans le peuple, les autorités chercheront d’où ils sont venus… Et peut-être quelqu’un se souviendra des voyageuses et parlera…

— Merci de ta peine, mère ! dit Rybine en interrompant Jéfim. Je pense tout le temps à Pavel, en te voyant… Tu as pris un bon chemin…

Tout, apaisé, il souriait d’un large et amical sourire. Il faisait frais ; cependant il était là en blouse, le col ouvert, la poitrine découverte. La mère considéra sa massive personne et lui conseilla avec sollicitude :

— Tu devrais mettre quelque chose, il fait froid !

— Mais j’ai chaud en dedans ! répliqua-t-il.

Debout près du foyer, les trois jeunes gens conversaient à voix basse ; à leurs pieds, le malade dormait, enveloppé de pelisses. Le ciel pâlissait, les ombres fondaient. Toutes tremblantes, les feuilles attendaient le soleil.

— Eh bien, adieu ! dit Rybine en serrant la main de Sophie. Comment vous retrouver en ville ?

— C’est moi qu’il faut chercher ! répondit la mère.

Lentement, en un seul groupe, les ouvriers s’approchèrent de Sophie et lui serrèrent la main avec une maladresse affectueuse. On devinait que chacun d’eux était secrètement pénétré de gratitude et d’amitié, et ce