Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/243

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Le jeune homme s’assit gauchement sur le bord du canapé et dit avec embarras, en haussant les épaules :

— Je ne sais pas… c’est l’occasion qui s’est présentée… Je me promenais dans la cour… les criminels de droit commun se sont jetés sur un geôlier… un ancien gendarme expulsé du corps pour cause de vol… il espionne, rapporte, fait la vie dure à tout le monde… Alors, il y a eu une mêlée, les surveillants ont eu peur, ils sifflaient, couraient… Pendant ce temps, je vois que la grille était ouverte, je m’approche, j’aperçois une place, la ville… Cela m’a attiré. Et je suis sorti sans me hâter…, comme dans un rêve… Quand j’eus fait quelques pas, je revins à moi, je me demandai où j’allais me rendre… je constatai alors que les portes de la prison étaient fermées… J’ai été mal à mon aise… je regrettais les camarades… enfin, c’était stupide… je ne pensais pas à m’enfuir…

— Hum ! fit Iégor. Eh bien, monsieur, vous auriez dû retourner, frapper à la porte et demander poliment qu’on vous laisse rentrer : — Excusez, un moment de distraction…

— Oui ! continua Vessoftchikov en souriant. C’était bête aussi, je le comprends. Et pourtant, j’ai mal agi envers les camarades… je ne dis rien à personne et je pars… Dans la rue, je vois venir un enterrement. J’ai suivi le cercueil — c’était un enfant — la tête baissée, sans regarder personne… Je suis resté au cimetière, au grand air, et il m’est venu une idée…

— Une seule ? demanda Iégor, et il ajouta avec un soupir : Je pense qu’elle n’a pas été à l’étroit…

Le grêlé se mit à rire, sans se fâcher.

— Oh ! ma tête n’est plus aussi vide qu’avant… Et toi, Iégor, tu es toujours malade ?

— Chacun fait ce qu’il peut ! répondit Iégor ; et un accès de toux le secoua. Continue !

— Puis j’ai été au musée… je me suis promené, j’ai regardé les collections tout en pensant : « Où vais-je aller maintenant ? » J’étais furieux contre moi-même, j’avais horriblement faim !… Je suis retourné dans la rue, j’ai marché, j’étais vexé ; je voyais que les agents de police examinaient les passants avec attention… Je me disais : — Grâce à mon museau, je tomberai bientôt entre les mains de la justice… Et