Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

La jeune fille promena un regard interrogateur sur les assistants et baissa la tête.

— Il est mort ? répéta-t-elle à haute voix. Il m’est difficile de me résigner à ce fait…

Elle marcha de long en large dans la pièce, puis, s’arrêtant soudain, elle reprit d’une voix bizarre :

— Que signifie cela : « Il est mort ? » Qui est-ce qui est mort ? Mon estime pour Iégor, mon amour pour ce camarade, le souvenir de l’œuvre de sa pensée, tout cela est-il mort ? L’idée que je m’en faisais, celle d’un homme courageux et loyal s’est-elle donc anéantie ? Tout cela est-il mort ? Pour moi, tout cela, le meilleur de lui-même ne mourra jamais… je le sais… Il me semble que nous nous hâtons trop de dire d’un homme qu’il est mort ! Ses lèvres sont mortes, mais ses paroles vivent dans le cœur des vivants.

Tout émue, elle s’assit de nouveau, s’accouda à la table et continua plus doucement :

— Je dis peut-être des bêtises, mais voyez-vous, camarades, je crois en l’immortalité des braves gens…

— Il vous est arrivé quelque chose d’heureux ? demanda Sophie en souriant.

— Oui ! répondit Sachenka en hochant la tête. Quelque chose de très heureux, je crois ! J’ai parlé toute la nuit avec Vessoftchikov… Je ne l’aimais pas auparavant, il me paraissait trop grossier, trop ignorant… C’était vrai, d’ailleurs… Il y avait en lui une rudesse, une irritation vague et continuelle envers tout le monde ; il se plaçait toujours au centre de tout avec une insistance fatigante et parlait sans cesse de lui-même. Il y avait là quelque chose d’énervant, de vil…

Elle sourit et promena autour d’elle un regard rayonnant :

— Maintenant, il parle de ses « camarades ». Et il faut l’entendre prononcer ce mot… avec un amour si tendre, si doux qu’on ne le peut rendre comme lui ! Il s’est trouvé lui-même, il voit sa force, il sait ce qui lui manque… et surtout le vrai sentiment de camaraderie est né en lui, un immense amour qui va en souriant au-devant de tout ce qui est pénible dans la vie.

Pélaguée écoutait Sachenka, ravie de voir la joie de la jeune fille, si morose d’habitude. Mais, en même