Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/262

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— Camarades ! commença le grand jeune homme d’une voix forte et sonore.

— Permettez ! cria l’officier… Je vous déclare que je n’autorise aucun discours…

— Je ne dirai que quelques mots ! répondit paisiblement le jeune homme : Camarades ! Jurons sur la tombe de notre maître et ami, de ne jamais oublier ses enseignements, jurons que chacun de nous travaillera toute sa vie sans se lasser à anéantir la source de tous les maux de notre patrie, la force malfaisante qui l’oppresse, l’autocratie !

— Arrêtez-le ! cria l’officier. Mais sa voix fut couverte par une explosion d’exclamations :

— À bas l’autocratie !…

Écartant la foule à grands coups de coude, les agents de police se précipitèrent sur l’orateur étroitement entouré de toutes parts et qui criait :

— Vive la liberté ! Vivons et mourons pour elle !

La mère fut jetée de côté ; dans sa terreur, elle se cramponna à une croix et ferma les yeux dans l’attente du coup. Un tourbillon impétueux de sons discordants l’assourdit ; la terre vacilla sous ses pieds ; le vent et la terreur l’empêchaient de respirer. L’air était déchiré par les coups de sifflet des agents de police ; une rauque voix de commandement retentissait ; des femmes poussaient des cris hystériques ; le bois des clôtures craquait ; le lourd piétinement des gens sur le sol sec résonnait sourdement… Cela dura longtemps. Pélaguée ne pouvait plus tenir ses yeux fermés ; son épouvante était trop grande… Elle regarda autour d’elle et, avec une exclamation, elle se mit à courir, les bras tendus. Non loin de là, dans un étroit sentier, entre les tombes, les agents de police, cernant le grand jeune homme, se défendaient contre la foule qui les attaquait. Les lames nues étincelaient en l’air avec un éclat blanc et froid ; elles s’élevaient au-dessus des têtes et s’abaissaient rapidement. Des cannes, des débris de palissade se montraient et disparaissaient ; en un tourbillon sauvage les cris de la foule ameutée s’entrecroisaient ; on apercevait de temps en temps le visage pâle du grand jeune homme ; sa voix forte grondait au-dessus de la tempête des colères :

— Camarades ! Pourquoi vous sacrifiez-vous en vain ?