Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/267

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— Vous avez reçu aussi un coup ?

— Je crois que c’est de ma faute… Sans le vouloir, j’ai frôlé je ne sais quoi de la main et me suis arraché la peau. Buvez votre vin… il fait froid et vous êtes habillée légèrement…

Elle tendit ses mains vers le verre et vit que ses doigts étaient couverts de sang figé ; d’un geste instinctif elle laissa tomber le bras sur ses genoux ; sa jupe était humide. Les yeux grands ouverts, le sourcil relevé, elle regarda ses doigts à la dérobée ; la tête lui tourna ; une pensée martelait son cerveau :

— Voilà… voilà… voilà ce qui attend Pavel un jour…

Le médecin entra ; il était en bras de chemise et les manches retroussées. À la question muette de Nicolas, il répondit de sa voix grêle :

— La blessure du visage est insignifiante ; mais il y a une fracture du crâne ; elle n’est pas très grave, non plus… le gaillard est vigoureux… toutefois, il a perdu beaucoup de sang… Nous allons le transporter à l’hôpital…

— Pourquoi ? Qu’il reste ici ! s’écria Nicolas.

— Oui, aujourd’hui et demain peut-être. Mais ensuite, il serait préférable qu’il fût à l’hôpital. Je n’ai pas le temps de faire des visites. Tu te charges du compte rendu des événements au cimetière ?

— Bien entendu ! répondit Nicolas.

La mère se leva sans bruit et se dirigea dans la cuisine.

— Où allez-vous ? s’écria Nicolas alarmé. Sophie saura bien s’arranger toute seule !

Elle lui jeta un coup d’œil et répondit, frémissante avec un sourire bizarre et involontaire :

— Je suis couverte de sang… je suis couverte de sang !

Tout en changeant de vêtements dans sa chambre, elle pensa une fois de plus au calme de ces gens, à la faculté qu’ils avaient de ne pas s’arrêter longtemps sur l’horreur des événements. Cette réflexion la fit revenir à elle et chassa l’effroi de son cœur. Lorsqu’elle retourna dans la chambre où était le blessé, Sophie se penchait sur lui, et disait :

— Quelle sottise, camarade !