Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/284

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— Elles étaient liées… le peuple les a déliées ! répondit l’un des gardes.

— Quoi ! Le peuple ! Quel peuple ?

Le commissaire regarda les gens qui l’entouraient en un demi-cercle, et il continua de la même voix blanche et uniforme :

— Qui est-ce le peuple ?

Il toucha de la poignée de son sabre la poitrine du paysan aux yeux bleus :

— Est-ce toi qui es le peuple, Tchoumakov ? Et qui encore ? Toi, Michine ?

Et il tira un autre paysan par la barbe.

— Dispersez-vous, canailles !… sinon, je vous… je vous montrerai… !

Il n’y avait ni irritation ni menace dans sa voix, pas plus que sur sa physionomie ; il parlait avec un calme parfait et frappait les campagnards avec des gestes assurés et égaux. Les groupes reculaient à son approche, les têtes se baissaient, les visages se détournaient.

— Eh bien ! qu’attendez-vous ? demanda-t-il aux gardes, garrottez-le !

Après une volée d’injures cyniques, il regarda de nouveau Rybine et lui cria :

— Hé, toi ! Les mains au dos !

— Je ne veux pas qu’on me les attache ! répliqua Rybine. Je ne m’enfuirai pas… je ne me défends pas… à quoi bon me lier ?

— Quoi ? demanda le commissaire en marchant sur lui.

— Vous avez déjà assez torturé le peuple, fauves ! continua Rybine en haussant la voix. Les jours sanglants viendront bientôt pour vous aussi !

Le commissaire s’arrêta devant lui et le considéra en agitant la moustache. Puis il recula d’un pas et siffla d’une voix étonnée.

— Ah ! ah ! ah ! fils de chien !… Qu’est-ce que ces paroles ?

Et brusquement, de toute sa force, il frappa Rybine au visage.

— On ne tue pas la vérité à coups de poing ! cria Rybine en s’avançant vers lui, et tu n’as pas le droit de me battre !