Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/286

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— Ah ! c’est comme ça ! Vous vous révoltez ? Ah ! voilà ce que c’est ?…

Sa voix frémit, se fit aiguë, puis grinça comme si elle se fût brisée… En même temps que sa voix, il sembla perdre toute sa force ; la tête rentrée entre les épaules, le dos voûté et promenant autour de lui des yeux vides, il recula, tâtant avec précaution le sol derrière lui. Il criait d’une voix rauque et inquiète, tout en cédant :

— Très bien… prenez-le… je m’en vais !… — Mais après ? Sachez-le bien, c’est un criminel politique, il combat contre notre tsar, il fomente des troubles… Comprenez-vous ? Il est contre Sa Majesté l’empereur… et vous le défendez ! Savez-vous que vous êtes des rebelles ? Hein ?…

Immobile, le regard fixe, sans pensée ni force, comme en un cauchemar, la mère succombait sous le poids de la terreur et de la pitié. Pareils à des bourdons, les cris irrités de la foule bruissaient à son oreille ; la voix tremblante du commissaire, des chuchotements tourbillonnaient dans sa tête.

— S’il est coupable, il faut le juger !

— Et non pas le battre !

— Faites-lui grâce, Votre Noblesse !

— C’est vrai ! Vous n’avez pas le droit de le battre…

— Est-il permis d’agir ainsi ? Comme cela tout le monde se mettra à battre les gens… Que sera-ce alors ?

— Quelles brutes ! quels persécuteurs !

Les gens se partageaient en deux groupes : les uns entouraient le commissaire, criaient et l’exhortaient ; les autres, moins nombreux, restaient auprès du blessé et discouraient d’une voix basse et morne. Quelques hommes le relevèrent ; les gardes se disposaient à lui rattacher les mains.

— Attendez donc, diables ! leur cria-t-on.

Rybine essuya la boue et le sang qui couvraient son visage et regarda autour de lui en silence. Ses yeux glissèrent sur le visage de la mère ; elle tressaillit, tendit tout le corps vers lui, fit un geste instinctif. Il se détourna. Mais quelques instants plus tard, les yeux du prisonnier se fixèrent de nouveau sur elle. Il sembla à Pélaguée qu’il se redressait, qu’il levait la tête, que ses joues ensanglantées tremblaient…