Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/298

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et, tous ils lutteront jusqu’à la mort pour la liberté, pour la vérité…

Oubliant toute prudence, mais sans pourtant citer des noms, elle raconta ce qu’elle savait du travail souterrain qui s’accomplissait pour libérer le peuple. En exposant ce sujet cher à son cœur, elle mettait dans ses paroles toute la force, tout l’excès de l’amour jailli si tard en elle sous les nombreux chocs de la vie.

Sa voix était égale ; elle trouvait maintenant les mots facilement, et, comme des perles multicolores et brillantes, elle les enfilait avec rapidité sur le fil solide du désir de purifier son cœur, de la boue et du sang de la journée. Les paysans avaient pris racine à l’endroit où ses paroles les avaient trouvés, sans faire un mouvement, ils la regardaient gravement ; elle entendait la respiration haletante de la femme assise à côté d’elle ; et l’attention de ses auditeurs fortifiait sa croyance dans les choses qu’elle disait et promettait…

— Tous ceux que l’injustice et la misère accablent, le peuple tout entier, doivent aller au devant de ceux qui périssent pour eux en prison ou sur l’échafaud. Ils n’ont aucun intérêt personnel en jeu, ils expliquent où est la voie qui mène au bonheur pour tous, ils disent ouvertement que ce chemin est difficile ! Ils n’entraînent personne de force ; mais quand on se place dans leurs rangs, on ne les quitte plus, car on voit qu’ils ont raison, que ce chemin-là est le bon, qu’il n’y en a point d’autre…

Il était doux à la mère de réaliser enfin son désir : maintenant, elle parlait elle-même de la vérité aux gens !

— Le peuple peut marcher sans crainte avec des amis pareils ; ils ne se croiseront pas les bras avant que le peuple ait formé une seule âme, avant qu’il ait dit d’une seule voix : — Je suis le maître, je ferai moi-même des lois, les mêmes pour tous !

Fatiguée enfin, Pélaguée se tut. Elle avait la paisible certitude que ses paroles ne s’évanouiraient pas sans laisser des traces… Les paysans la regardaient comme s’ils l’écoutaient encore. Pierre avait croisé les bras sur sa poitrine et plissé les paupières ; un sourire tremblait sur ses joues couvertes de taches de rousseur… Un coude sur la table, Stépane était penché en avant de tout son corps, le cou tendu… Une ombre posée sur