Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/304

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le silence, des frôlements, des bruits furtifs à peine perceptibles glissaient autour d’elle. Elle murmura d’une voix craintive :

— Pour ce qui est de Dieu, je ne sais trop que dire… mais je crois en Jésus-Christ, je crois en ses paroles : — « Aime ton prochain comme toi-même… » oui, je crois en cela…

Et soudain, elle fit avec perplexité :

— Mais si Dieu existe, pourquoi nous a-t-il abandonnés ? Pourquoi sa puissance miséricordieuse ne nous protège-t-elle pas ? Pourquoi permet-il que le monde se partage en deux classes ? Pourquoi permet-il les souffrances humaines, les tortures, les humiliations, le mal et les férocités de toutes sortes ?

Tatiana garda le silence. Dans l’ombre, la mère apercevait les contours vagues de sa silhouette droite, dessinée en gris sur le fond noir du poêle. La jeune femme était immobile. Pélaguée ferma les yeux, tout angoissée.

Soudain, une voix froide et gémissante résonna :

— Jamais je ne pardonnerai la mort de mes enfants ni à Dieu ni aux hommes… jamais !

La mère se mit sur son séant ; la profondeur de cette douleur la saisit :

— Vous êtes jeune, vous aurez encore des enfants ! dit-elle doucement.

Après un silence, la femme chuchota :

— Non ! Le médecin a dit que je n’en aurais plus jamais…

Une souris courut sur le sol. Un craquement sec et bruyant déchira l’immobilité du silence, et de nouveau on entendit distinctement les frôlements et le bruissement de la pluie sur le chaume, caressé comme par des doigts menus et tremblants. Les gouttes de pluie tombaient tristement sur la terre et rythmaient le cours de cette lente nuit d’automne…

Dans une lourde somnolence, la mère entendit des pas sourds résonner au dehors, puis dans le corridor. La porte s’ouvrit doucement, une exclamation étouffée se fit entendre :

— Tatiana… tu es couchée ?

— Non.

— « Elle » dort ?

— Oui, je crois…