Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/320

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— Et ta peur, qu’en fais-tu ? demanda de nouveau la mère.

Ce solide gaillard à la tête bouclée l’amusait par la sincérité qui résonnait dans chacune de ses paroles, par son visage rond et son air obstiné.

— La peur c’est la peur, et les affaires sont les affaires ! répliqua-t-il en découvrant les dents. Pourquoi vous moquez-vous de moi ? Voyez-vous ça !… Est-ce que ce n’est pas effrayant peut-être ? Mais si c’est nécessaire, on passera par le feu… Quand il s’agit d’une affaire pareille… il faut…

— Ah… ah ! mon enfant ! s’exclama involontairement la mère, en se laissant aller au sentiment de joie qu’il provoquait en elle.

Il sourit avec embarras.

— Voilà encore… moi, un enfant !

Nicolas, qui n’avait cessé de considérer amicalement le jeune homme, prit la parole.

— Vous n’irez pas là-bas…

— Et que dois-je faire ? Où faut-il aller ? demanda Ignati, inquiet.

— C’est un autre qui ira, et vous lui expliquerez en détail comment il devra s’y prendre !… Voulez-vous ?

— Bien ! répondit Ignati à contre-cœur, après un instant d’hésitation.

— Nous vous fournirons des papiers et nous vous trouverons une place de garde forestier.

— Mais si les paysans viennent prendre du bois ou braconner… que faudra-t-il faire ? Les arrêter ? Cela ne me va pas…

La mère se mit à rire, ainsi que Nicolas, ce qui troubla et chagrina de nouveau le paysan.

— Soyez sans crainte ! fit Nicolas. Vous n’en aurez pas l’occasion… Croyez-moi !

— Alors, c’est différent ! dit Ignati. (Il se tranquillisa et sourit à Nicolas d’un air confiant et joyeux.) J’aimerais aller à la fabrique, on dit qu’il y a des gens assez intelligents…

Il semblait que dans sa large poitrine, un feu brûlât, inégal encore, et s’éteignît ne laissant voir que la fumée de la perplexité et de l’inquiétude.

La mère se leva de table et alla vers la fenêtre en disant d’un ton pensif :