Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/337

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fier… Il leur répondra… Ou bien André se moquera d’eux… Ils sont tous si ardents, si loyaux, les nôtres !… Et voilà, je me dis : — S’il arrivait quoi que ce fût, si l’un d’eux perdait patience… les autres le soutiendraient… et on les condamnerait… de manière à ne les revoir jamais.

Nicolas, l’air sombre, tiraillant sa barbe, gardait le silence.

— Je ne peux pas m’enlever ces idées de la tête ! continua la mère à voix basse. C’est terrible, un jugement ! Ils vont se mettre à tout examiner, à tout soupeser… ils chercheront où est la vérité ! C’est vraiment affreux !… Ce n’est pas le châtiment qui est effrayant, mais le jugement… l’évaluation de la vérité… Je ne sais comment dire…

Elle sentait que Nicolas ne comprenait pas sa terreur, et cela l’embarrassait encore davantage dans ses explications…


XXIII


Cette terreur ne fit que croître dans l’esprit de Pélaguée pendant les trois journées qui la séparaient du jugement et, ce moment venu, elle emporta avec elle, au tribunal, un fardeau qui la ployait en deux.

Dans la rue elle reconnut d’anciens voisins du faubourg, s’inclina silencieusement pour répondre à leur salut et se fraya à la hâte un chemin à travers la foule sombre. Elle se heurta dans les corridors, puis dans la salle, aux familles des prévenus. On parlait à voix étouffée ; on échangeait des propos qu’elle ne comprenait pas. De la cohue se dégageait un sentiment poignant qui se communiquait à la mère et l’oppressait encore davantage.

— Assieds-toi, dit Sizov en lui faisant place sur le banc à côté de lui.

Elle obéit, arrangea les plis de sa robe et regarda autour d’elle… Elle aperçut vaguement des bandes vertes et cramoisies, des taches, des fils jaunes et minces qui brillaient.

— Ton fils a mené le mien à sa ruine ! fit à voix basse une femme assise près d’elle.