Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/344

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son collègue à la moustache rousse était devenu encore plus pâle ; il levait parfois le bras et pressait avec force un doigt sur sa tempe ; il regardait au plafond sans rien voir. De temps à autre, le procureur écrivait quelques mots au crayon, puis se remettait à chuchoter avec le maréchal de la noblesse. Le maire avait croisé les jambes et tambourinait sur son mollet, le regard gravement fixé sur les mouvements de ses doigts. Son ventre posé sur les genoux et soutenu avec prudence des deux mains, le syndic du bailliage inclinait la tête ; il semblait être le seul à écouter le murmure monotone des voix, avec le vieillard enfoncé dans son fauteuil et immobile comme une girouette quand le vent ne souffle pas. Cela dura longtemps, et de nouveau, l’ennui engourdit l’assistance.

La mère sentait que la justice implacable, qui déshabille froidement l’âme, l’examine, voit et apprécie tout avec des yeux incorruptibles et pèse tout d’une main loyale, n’était pas encore apparue dans cette grande salle. Il n’y avait là rien qui l’effrayât par une manifestation de force ou de majesté. Des visages exsangues, des yeux éteints, des voix fatiguées, l’indifférence terne d’une froide soirée d’automne, voilà tout ce qu’elle constatait autour d’elle.

— Je déclare… dit le vieillard distinctement ; puis, après avoir étouffé le reste de la phrase sous ses lèvres minces, il se leva.

Une rumeur, des soupirs, des exclamations étouffées, des accès de toux, des bruits de pieds remués remplirent la salle. Les prévenus furent emmenés ; ils hochèrent la tête en souriant dans la direction de leurs parents et amis ; Ivan Goussev cria doucement on ne sait à qui :

— Ne te laisse pas intimider, camarade !…

La mère et Sizov sortirent dans le corridor.

— Veux-tu venir prendre du thé à la buvette ? demanda le vieil ouvrier avec sollicitude, nous avons une heure et demie à attendre…

— Non, merci !

— Eh bien, je n’y vais pas non plus !… Les as-tu vus ces garçons, hein ? Ils parlent comme si eux seuls étaient les vrais hommes et les autres rien du tout. As-tu entendu Fédia, hein ?