Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/374

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gratitude pour tout ce qui était descendu dans son âme. Un désir de prier qu’elle n’avait pas éprouvé depuis longtemps lui vint. Elle se rappela un jeune visage ; dans sa mémoire une voix grêle s’écria : — C’est la mère de Pavel Vlassov… Les yeux tendres et joyeux de Sachenka étincelèrent, la silhouette noire de Rybine se profila, le visage ferme et bronzé de Pavel sourit, Nicolas clignait des yeux d’un air confus ; soudain, tous ces visages furent secoués par un soupir léger et profond ; ils se mêlèrent et se confondirent en un nuage transparent et multicolore, qui enveloppait le cœur d’un sentiment paisible.

— Nicolas avait raison ! dit Lioudmila en revenant. On l’a arrêté, impossible d’en douter. Comme vous m’avez dit de le faire, j’ai envoyé un gamin chez lui. Il est revenu en m’annonçant qu’il y a des agents de police cachés dans la cour ; il en a vu un derrière le portail. Les espions rôdent autour de la maison, le gamin les connaît…

— Ah ! dit simplement la mère en hochant la tête, pauvre Nicolas !…

— Ces derniers temps il faisait beaucoup de conférences aux ouvriers de la ville ; il était brûlé, il aurait été temps qu’il disparût ! continua Lioudmila d’un air sombre et tranquille. Ses camarades lui disaient de partir, il ne les a pas écoutés ! Selon moi, dans des cas pareils, on n’exhorte pas les gens, on leur force la main…

Un jeune garçon aux cheveux noirs, au teint rose, au nez aquilin et aux beaux yeux bleus, apparut sur le seuil de la porte.

— Faut-il apporter le samovar ? demanda-t-il d’une voix sonore.

— Oui, s’il te plaît, Serge ! C’est mon élève… Vous ne l’avez jamais vu ?

— Non.

— Je l’ai envoyé quelquefois chez Nicolas.

Il semblait à la mère que Lioudmila s’était transformée, qu’elle était plus simple et moins lointaine. Il y avait dans les mouvements souples de son corps harmonieux beaucoup de beauté et de force, qui atténuait un peu l’expression sévère de son visage pâle. Les cernes de ses yeux s’étaient encore agrandis pendant la nuit.