Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/377

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s’animant. Si on m’arrête quand je reviendrai et qu’on me demande où j’ai été…

Elle s’interrompit et reprit :

— Je saurai bien répondre ! De la fabrique, je me rendrai directement au faubourg ; je connais là un homme, Sizov… je dirai donc que, tout de suite après le jugement j’ai été chez Sizov, poussée par le chagrin… Lui aussi est dans la douleur : son neveu a été condamné avec Pavel !… Et je dirai que je suis restée tout le temps chez lui… Et il confirmera la chose… Vous voyez !

Les sentant céder à son désir, elle tâchait de les convaincre et parlait avec une force croissante. Ils acquiescèrent.

— Que faire ? Allez ! dit le docteur à contre-cœur.

Lioudmila garda le silence, elle allait et venait pensivement dans la pièce. Son visage s’était assombri, ses joues se creusaient ; on voyait que les muscles de son cou étaient tendus comme si brusquement sa tête était devenue plus pesante et retombait involontairement sur sa poitrine. Le consentement forcé du docteur fit soupirer Pélaguée.

— Vous me ménagez tous ! dit-elle en souriant. Mais vous ne vous ménagez pas vous-mêmes.

— Ce n’est pas vrai ! répondit le docteur. Nous nous ménageons, nous devons nous ménager ! Et nous n’avons pas assez de blâme pour ceux qui s’exposent inutilement ! Ainsi donc, on vous portera les feuillets à la gare…

Il lui expliqua ce qu’elle aurait à faire ; puis, il ajouta en la regardant en face :

— Je vous souhaite de réussir ! Vous êtes satisfaite, n’est-ce pas ?

Et il partit, mécontent. Lorsque la porte se fut refermée sur lui, Lioudmila s’approcha de la mère et lui dit :

— Vous êtes une brave femme… Je vous comprends…

Elle la prit par le bras, et toutes deux se mirent à arpenter la pièce.

— Moi aussi, j’ai un fils. Il a déjà douze ans, mais il vit avec son père. Mon mari est substitut du procureur ; peut-être même est-il procureur maintenant… L’enfant est avec lui. Je me demande souvent ce qu’il deviendra…