Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/48

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Le Petit-Russien dit :

— La moitié du cœur aime, l’autre hait… Et c’est un cœur, cela, hein ?

— Je te le demande : comment pourrait-il en être autrement ?

Un bruit de livre qu’on feuillette : sans doute Pavel s’était remis à lire. La mère restait étendue, les yeux fermés, sans oser faire un mouvement. Elle avait profondément pitié du Petit-Russien, mais encore plus de son fils. Elle disait : Mon chéri… mon martyr !… mon sacrifié…

Soudain le Petit-Russien reprit :

— Ainsi, je dois me taire ?

— C’est plus honnête, André…, dit Pavel à voix basse.

— Eh bien, c’est cette voie-là que nous prendrons ! décida le Petit-Russien.

Un instant après, il ajouta tristement :

— Tu souffriras Pavel, quand ton tour viendra…

— Il est venu, je souffre déjà… cruellement…

— Toi aussi ?

Le vent soufflait autour de la maison.

— Ce n’est pas drôle ! prononça le Petit-Russien avec lenteur.

Pélaguée enfouit son visage dans les oreillers et pleura.

Le lendemain matin, André lui parut comme rapetissé physiquement, et elle le sentit plus près de son cœur. Comme toujours, son fils se redressait maigre, silencieux et raide. Jusqu’alors, elle avait appelé le Petit-Russien André Onissimovitch ; ce jour-là, sans le vouloir, sans s’en apercevoir, elle lui dit :

— Vous devriez raccommoder vos bottes, mon André… sinon vous aurez froid aux pieds ?

— J’en achèterai d’autres, quand je toucherai mon salaire ! répondit-il ; puis il se mit à rire et lui demanda brusquement, en posant sa longue main sur son épaule :

— Peut-être est-ce vous qui êtes ma vraie mère ? seulement vous ne voulez pas l’avouer, parce que vous me trouvez trop laid ? n’est-ce pas ?

Sans mot dire, elle lui frappa sur la main. Elle aurait voulu lui dire des mots caressants, mais son cœur se serrait de pitié et sa langue refusait de lui obéir…