Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/55

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La mère se plaça à côté de Pavel, contre le mur ; comme lui, elle croisa les bras sur sa poitrine et voulut examiner l’officier. Ses genoux chancelaient, un brouillard voilait ses yeux.

Soudain la voix de Vessoftchikov résonna, tranchante :

— À quoi bon lancer les livres par terre ?

La mère frémit, Tvériakov hocha la tête, comme si on l’avait frappé à la nuque ; Rybine grogna et considéra attentivement le coupable.

L’officier cligna des yeux et plongea son regard dans le visage grêlé et immobile du jeune homme… Puis ses doigts feuilletèrent encore plus rapidement les pages des livres. Par moment, il ouvrait si grand ses yeux gris, qu’on pouvait croire qu’il souffrait atrocement, qu’il allait crier, furieux et impuissant contre la douleur.

— Soldat ! dit de nouveau Vessoftchikov, ramasse les livres…

Les gendarmes se tournèrent tous vers lui, puis regardèrent l’officier. Celui-ci leva encore la tête et, lançant un coup d’œil scrutateur sur le grêlé, il ordonna en nasillant :

— Hé bien, ramassez les livres !

L’un des gendarmes se baissa et, tout en examinant Vessoftchikov du coin de l’œil, se mit à relever les livres en lambeaux.

— Il ferait mieux de se taire, chuchota la mère en s’adressant à son fils.

Il haussa les épaules. Le Petit-Russien tendit le cou.

— Qu’est-ce que ces chuchotements ? Je vous prie de vous taire ! Qui est-ce qui lit la Bible, ici ?

— Moi, répondit Pavel.

— Ah !… Et à qui sont tous ces livres ?

— À moi ! dit-il encore.

— Bien ! fit l’officier en s’appuyant au dossier de la chaise.

Il fit craquer les doigts de sa main blanche, allongea les jambes sous la table, lissa sa moustache et interpella Vessoftchikov :

— C’est toi qui es André Nakhodka ?

— C’est moi ! répondit le grêlé en s’avançant.

Le Petit-Russien tendit le bras, l’arrêta par l’épaule et le fit reculer.

— Il s’est trompé ! c’est moi qui suis André…