Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/6

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Mais une fois de plus, elle parle de son fils, de son caractère, de sa maîtrise, du passé.

— Il est tellement obstiné, mon fils… Le 1er mai, à Sormovo, il y eut cinq cents manifestants, mais on n’en a arrêté que sept. Dertev et Moïsséev, des étudiants, Piotr, le serrurier Samyline, et un autre, je ne sais plus qui… Le lendemain, j’allai chez ma fille, pour savoir ce qu’il était advenu de mon fils… À cette époque-là, il vivait chez elle. Chemin faisant, je rencontrai une femme :

« Où vas-tu ? Sais-tu, le meneur, celui qui portait le drapeau, on l’a blessé à coups de baïonnette… C’est pas assez : il aurait fallu le tuer.

« Moi, je répondis : c’est faux. Il est mon fils, il vit, il n’a fait aucun mal aux hommes.

« Elle faillit tomber, et moi :

« — Pourquoi avez-vous peur, je ne vous ai rien fait. »

Une grande flamme merveilleuse éclaire les yeux de la mère qui raconte :

— Piotr a adhéré au Parti lorsqu’il avait quinze ans… On lui avait dit plus d’une fois : « Tu verras, tu finiras sur la potence ou devant un peloton d’exécution. » Cela ne l’avait pas effrayé. On les a jugés et déportés tous dans le gouvernement de l’Enisséï, au village de Maklakovka. Cela se passait en 1903 ; puis, il s’évada… En 1905, il combattit sur les barricades, à Moscou. Puis, il fallut partir pour Kostroma, où nous sommes restés cinq mois, puis pour Soudja… Sa femme est institutrice. Il se faisait appeler Anton Fédorovitch… Il vivait sous un faux nom, mon fils.

— Et vous-même, avez-vous participé à l’action révolutionnaire.

— Mais oui. En 1899 ou en 1900, j’allai à Ivanovo- Voznessensk… Pour porter des proclamations. Piotr en avait envoyé quelques milliers. Au début, on voulait les confier à mon frère, mais j’eus peur… « Mieux vaut que j’y aille, moi »… On venait de réduire les salaires des tisserands… Il fallait leur porter des tracts…

« Je m’en souviens très bien. Je m’engageai dans une ruelle. Une dame apparut sur un perron… J’entrai dans la cour ; des menuisiers y étaient en train de