Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/61

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d’athlète, inspirait la sympathie par sa fermeté assurée.

La mère s’en alla dans la cuisine préparer le samovar. Rybine s’assit, caressa sa moustache, et, s’accoudant sur la table, enveloppa Pavel du regard.

— Ainsi donc… commença-t-il, comme s’il reprenait une conversation interrompue. Il faut que je te parle ouvertement. Je t’ai longuement examiné avant de venir chez toi. Nous sommes presque voisins, j’ai vu que tu recevais beaucoup de monde et que personne ne s’enivrait, ni ne faisait de scandale. Ça, c’est la première chose. Quand les gens se conduisent bien, on les remarque du coup, on voit tout de suite ce qu’ils sont. Moi aussi, j’attire l’attention parce que je vis à l’écart, sans commettre de vilenies…

Il parlait lentement, avec aisance ; il avait des accents qui donnaient confiance en lui.

— Ainsi donc, tout le monde parle de toi. Mon propriétaire t’appelle « hérétique », parce que tu ne vas pas à l’église. Je n’y vais pas non plus. Ensuite ces feuilles, ces papiers sont survenus… C’est toi qui as eu cette idée ?

— Oui ! répondit Pavel sans détacher son regard du visage de Rybine.

Celui-ci le fixait aussi.

— Allons donc ! s’écria la mère inquiète en sortant de la cuisine, tu n’étais pas seul…

Pavel sourit, Rybine également.

— Ah ! fit celui-ci.

La mère renifla avec bruit et sortit, un peu irritée qu’ils n’eussent pas fait attention à ses paroles.

— C’était une bonne idée, ces feuilles… Elles troublent le peuple… Il y en a eu dix-neuf ?

— Oui ! répondit Pavel.

— Je les ai donc toutes lues ! Bon… Il s’y trouve des choses incompréhensibles, superflues ; quand l’homme parle beaucoup, il lui arrive de parler pour rien…

Rybine sourit, il avait les dents blanches et saines.

— Ensuite, cette perquisition, c’est elle surtout qui m’a prévenu en ta faveur. Et toi, comme le Petit-Russien et Vessoftchikov, vous vous êtes tous montrés…

Comme il ne trouvait pas l’expression voulue, il se tut, jeta un coup d’œil vers la fenêtre et frappa du doigt sur la table.