Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/63

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de l’étranger opposaient à ceux qui voulaient limiter leurs droits. Rybine souriait parfois ; puis il frappait du doigt sur la table, comme pour ponctuer le discours de Pavel. Mais il ne s’écria pas une seule fois :

— C’est comme ça !

Pourtant il dit à mi-voix après un petit rire :

— Hé ! tu es encore jeune !… Tu ne connais pas les gens !

Pavel, debout devant lui, répliqua gravement :

— Ne parlons pas de la jeunesse, ni de la vieillesse. Voyons plutôt quelle opinion est la meilleure ?

— Ainsi donc, d’après toi, on se serait servi de Dieu lui-même pour nous tromper ? C’est comme cela. Je crois aussi que notre religion est nuisible et erronée.

La mère s’interposa. Quand son fils parlait de Dieu, des choses sacrées et chères qui se reliaient à la foi qu’elle avait en son créateur, elle essayait toujours de rencontrer le regard de Pavel pour lui demander tacitement de ne pas déchirer son cœur avec des paroles d’incrédulité, tranchantes et aiguës. Mais, elle sentait que, malgré son scepticisme, son fils était croyant et cela la tranquillisait.

— Comment pourrais-je comprendre ses pensées ? se disait-elle.

Elle se figurait qu’il devait être désagréable et outrageant pour Rybine, un homme d’âge mûr, d’entendre les paroles de Pavel. Mais quand l’hôte eut tranquillement posé cette question à Pavel, elle perdit patience :

— Soyez donc plus prudents en parlant de Dieu ! dit-elle brièvement, mais avec obstination. Faites comme vous voudrez…

Puis, après avoir repris haleine, elle continua avec plus de force encore :

— Sur qui m’appuierai-je dans mon chagrin, moi qui suis vieille, si vous m’enlevez mon Dieu ?

Ses yeux se remplirent de larmes. Elle lavait la vaisselle avec des doigts tremblants.

— Vous ne m’avez pas compris, maman ! dit doucement Pavel.

— Excuse-nous, mère ! ajouta Rybine d’une voix lente et épaisse, et il jeta un coup d’œil à Pavel en souriant. J’ai oublié que tu étais trop vieille pour qu’on te coupe tes verrues !