Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/85

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son petit visage couvert de taches de rousseur, puis baissa les yeux avec un soupir.

Elle voyait qu’il y avait de l’agitation dans l’air ; les ouvriers se rassemblaient par petits groupes, discutaient à mi-voix, mais passionnément ; les contremaîtres soucieux rôdaient partout ; par moments des invectives, des rires irrités résonnaient.

À ce moment, elle vit deux agents de police entraîner Samoïlov.

Une centaine d’ouvriers environ le suivaient et accablaient les agents de moqueries et d’injures.

— Tu vas te promener, ami ? cria quelqu’un.

— Honneur à notre camarade ! dit un autre. On lui donne une escorte…

Et une volée de jurons retentit.

— Il est moins profitable d’attraper les voleurs, à ce qu’il paraît ! s’écria avec irritation le grand borgne. On s’en prend aux honnêtes gens !…

— Si encore ça se passait de nuit ! continua quelqu’un dans la foule. Mais non, ces canailles, ils n’ont pas honte d’agir en plein jour…

Les agents de police marchaient vite et avaient l’air sombre ; ils s’efforçaient de ne rien voir, de ne pas entendre les injures qu’on leur lançait de toutes parts. Trois ouvriers s’avancèrent contre eux, portant une longue barre de fer, dont ils les menacèrent en criant :

— Attention, pécheurs !

Lorsqu’il passa devant la mère, Samoïlov secoua la tête en riant et dit :

— On entraîne un humble serviteur de Dieu…

Elle garda le silence et s’inclina profondément touchée par le spectacle de ces jeunes gens honnêtes, intelligents et sombres qui s’en allaient vers les prisons, le sourire aux lèvres. Sans qu’elle s’en doutât, elle commençait à leur porter un compatissant amour de mère. Et il lui était agréable d’entendre les paroles de blâme à l’adresse des directeurs, elle y sentait l’influence de son fils.

Lorsqu’elle eut quitté l’usine, elle passa la journée chez Maria, l’aidant à sa besogne, prêtant l’oreille à son bavardage. Elle ne rentra que très tard dans sa maison vide, froide, hostile. Longtemps, elle erra de coin en