Page:Gorki - La Mère, 1945.djvu/96

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— Bonsoir, petite mère ! fit une voix connue, et des mains sèches et longues se posèrent sur ses épaules.

Elle fut envahie par la douleur du désenchantement autant que par la joie de revoir André. Et ces deux sentiments se mêlèrent en une immense onde brûlante qui la souleva et la jeta contre la poitrine du Petit-Russien. Celui-ci l’étreignit avec force ; ses mains tremblaient. La mère pleurait doucement sans mot dire ; André lui caressa les cheveux, et lui dit, toujours de la même voix chantante :

— Ne pleurez pas, petite mère, ne fatiguez pas votre cœur ! Je vous en donne ma parole d’honneur, on le mettra bientôt en liberté ! Ils n’ont aucune preuve contre lui, les camarades ne parlent pas plus que des poissons frits…

Et, entourant de son long bras les épaules de Pélaguée, il l’entraîna dans la chambre ; elle se serra contre lui avec le mouvement rapide d’un écureuil ; puis elle aspira avec avidité, de toute sa poitrine, la voix d’André !

— Pavel vous envoie ses salutations, il est bien portant et aussi joyeux qu’il peut l’être. On est à l’étroit, en prison ! On a arrêté plus de cent personnes, ici comme en ville ; on en met trois ou quatre dans la même cellule. Il n’y a rien à dire de la direction de la prison ; ils ne sont pas méchants, mais éreintés : ces diables de gendarmes leur procurent tant d’ouvrage ! Par conséquent on n’est pas trop sévère ; on nous disait constamment : Soyez un peu plus tranquilles, messieurs, ne nous occasionnez pas de désagréments… Et comme cela, tout allait bien… Nous pouvons nous parler, échanger des livres, partager la nourriture. Quelle charmante prison ! Elle est vieille et sale, mais douce et légère. Les criminels de droit commun étaient aussi de braves gens, ils nous rendaient beaucoup de services. On nous a libérés, Boukine, moi et encore quatre autres, la place faisant défaut… Et bientôt on relâchera Pavel, c’est plus que certain. C’est Vessoftchikov qui restera en prison le plus longtemps, car on est très irrité contre lui. Il insulte tout le monde, sans cesse. Les gendarmes l’ont en horreur. Il finira par passer en jugement, à moins qu’on le rosse. Pavel essaie de le calmer et lui dit : Tais-toi, Nicolas, à quoi bon les injurier ? Ils n’en deviendront pas meilleurs ! Et lui, il hurle : Je les arracherai