Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/11

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jusqu’à terre. Une de ses mains les soulevait et les étendait tandis que l’autre, armée d’un peigne de bois aux dents rares, mettait à grand’peine de l’ordre dans les grosses mèches indisciplinées. Ses lèvres grimaçaient ; ses yeux noirs irrités étincelaient et son visage tout entier, sous cette masse de cheveux, présentait un aspect minuscule et risible.

Elle avait un air méchant que je ne lui connaissais pas encore ; mais quand je lui eus demandé pourquoi elle avait de si longs cheveux, elle me répondit de sa voix tendre et douce de tous les jours :

— C’est pour me punir sans doute que Dieu me les a donnés ; comment se coiffer avec une telle crinière ! Quand j’étais jeune, j’en étais fière ; dans ma vieillesse, je la maudis. Et toi, mon petit, tu ferais mieux de dormir ! le soleil vient à peine de se montrer et tu as besoin de repos.

— Je n’ai plus sommeil !

— Eh bien, soit, ne dors plus ! acquiesça-t-elle sans discuter davantage, et tout en continuant à natter ses cheveux, elle jeta un coup d’œil sur la couchette où ma mère était allongée, raide comme une corde tendue. Comment as-tu donc fait hier pour casser la bouteille ? Raconte-moi cela tout bas !

Elle parlait en chantonnant d’une façon particulière, et les mots qu’elle prononçait se gravaient facilement dans ma mémoire ; ils étaient pareils à des fleurs, brillantes, amicales et riches de sève généreuse. Quand grand’mère souriait, ses prunelles larges comme des cerises se dilataient, s’enflammaient ; une lueur indiciblement agréable émanait de son regard ; son sourire découvrait des dents