Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/122

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— C’était un malin qui voulait conquérir l’univers pour qu’ensuite tout le monde vive de la même manière, sans maîtres ni fonctionnaires, sans distinction de classes, tout bonnement. Les noms également auraient été les mêmes pour tous. Et il n’y aurait eu qu’une seule religion. Évidemment, c’était une idée stupide ; il n’y a que les écrevisses qu’on ne peut distinguer entre elles. Les poissons, eux, sont tous différents et le silure et l’esturgeon ne sont pas plus camarades que le hareng et le sterlet ne s’aiment. En Russie aussi il y a eu des Bonaparte : Stenka Razine, Emelian Pougatchef, par exemple ; je te raconterai leur histoire plus tard…

Parfois, il m’examinait longuement, sans mot dire, les yeux arrondis comme s’il me voyait pour la première fois. Cette attitude m’était désagréable.

Et il ne me parlait jamais de mon père ni de ma mère.

Souvent, grand’mère survenait au cours de ces entretiens ; elle s’asseyait dans un coin où elle demeurait silencieuse, invisible et, tout à coup, demandait d’une voix qui m’étreignait doucement :

— Te rappelles-tu, père, le beau pèlerinage que nous avons fait ensemble à Mourome ? En quelle année était-ce ?

Après un instant de réflexion, grand-père répondait avec beaucoup de détails :

— Je ne sais plus au juste la date, mais c’était avant le choléra, l’année où l’on traquait les « olontchane » dans la forêt…

— C’est vrai ! Nous en avions encore peur !