Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/136

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Ses oraisons achevées, grand-père nous souhaitait le bonjour.

Nous lui répondions, et nous nous mettions enfin à table. Alors, j’annonçais gravement :

— Tu sais, aujourd’hui, tu as oublié de dire : « suffit ».

— Vraiment ? s’inquiétait-il d’un accent incrédule.

— Oui, j’en suis sûr. Il faut dire : « Mais ma foi me suffit et me tient lieu de toutes les autres. » Tu as oublié « me suffit ».

— Eh bien, c’est du joli ! s’exclamait-il tout troublé.

Il me faisait payer très cher mes observations ; mais, tant que je le voyais confus et gêné, je triomphais.

Un jour, grand’mère, en plaisantant, lui dit :

— Ta prière doit ennuyer le bon Dieu, tu lui répètes toujours la même chose…

— Hein ? répliqua-t-il d’une voix traînante et irritée. Qu’est-ce que tu jacasses ?

— Je dis que, depuis le temps que je t’écoute, tu n’as jamais adressé au Seigneur un mot qui te sorte du cœur.

La figure du grand-père s’empourpra ; il se mit à trembler et à danser sur sa chaise ; puis il lança une soucoupe à la tête de sa femme, et sa voix grinça comme une scie qui rencontre un nœud :

— Va-t’en, vieille sorcière !

Quand il me parlait de la force invincible de Dieu, avant toute chose et toujours, il en soulignait la cruauté : les hommes se sont livrés au péché et Dieu a provoqué le déluge ; ils pèchent de nouveau,