Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/15

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se fait en cachette, car il y a sur le bateau un homme qui défend de manger des fruits (à cause des épidémies), et qui, dès qu’il en aperçoit, vous les enlève pour les jeter à l’eau. Il est habillé à peu près comme un soldat de police, il est toujours ivre et les gens se cachent dès qu’ils le voient approcher.

Ma mère ne monte que rarement sur le pont ; elle ne vient pas vers nous, et garde toujours le même silence obstiné. Son grand corps bien proportionné, son visage d’airain, la lourde couronne de ses cheveux blonds nattés, sa silhouette vigoureuse et ferme, je crois voir encore tout cela derrière un brouillard ou un nuage transparent qui rend lointains et froids les yeux gris au regard droit, aussi grands que ceux de mon aïeule.

Une fois, elle fit remarquer d’un ton sévère :

— Les gens se moquent de vous, maman !

— Que Dieu soit avec eux ! répliqua grand’mère avec insouciance, et grand bien leur fasse ; qu’ils rient si cela leur fait plaisir !

Je me rappelle la joie enfantine de la chère aïeule en revoyant Nijni-Novgorod. Me tirant par la main, elle me poussa vers le bord et s’exclama :

— Regarde, comme c’est beau, regarde ! La voilà, notre belle ville ! La voilà, la ville de Dieu ! Regarde, que d’églises ! On dirait qu’elles volent vers le ciel !

Elle pleurait presque en disant à ma mère :

— Regarde, Varioucha, n’est-ce pas que c’est beau ? Tu l’avais oubliée sans doute, ta ville ! Admire et réjouis-toi !

Ma mère eut un petit sourire sombre.

Lorsque le bateau s’arrêta en face de la belle cité,