Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/170

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— Ah ! je m’en aperçois bien.

Quand grand’mère s’en allait chercher de l’eau sur la place au Foin, elle m’emmenait assez fréquemment avec elle ; un jour, nous y vîmes cinq bourgeois qui rossaient un paysan qu’ils avaient jeté à terre et qu’ils déchiraient comme des chiens dépeçant une proie. Grand’mère détacha les seaux de la planche et, la brandissant sous le nez des bourgeois, elle leur cria d’une voix menaçante :

— Filez !

Bien qu’ayant grand’peur, je courus après elle et je lançai des cailloux aux agresseurs, tandis que, de sa traverse, la vaillante vieille cognait courageusement sur les épaules et sur les têtes. D’autres personnes étant intervenues aussi, les bourgeois s’enfuirent et mon aïeule put laver les plaies de la victime qui avait le visage horriblement piétiné. Maintenant encore, je revois avec un sentiment de répulsion cet homme qui, d’un doigt sale, maintenait sa narine arrachée, tandis que, par-dessous le doigt, le sang jaillissait jusque sur la figure et la poitrine de grand’mère. Elle criait aussi, mais de colère, et des frissons la secouaient.

Lorsqu’en rentrant je courus chez notre pensionnaire pour lui raconter ce que j’avais vu, il abandonna sa besogne et s’arrêta devant moi ; il tenait une lime longue comme un sabre ; après m’avoir regardé fixement et d’un air sévère par-dessus ses lunettes, il m’interrompit tout à coup et d’un ton plus grave et significatif que d’habitude acquiesça :

— Très bien, c’est bien comme cela que les choses se sont passées ! C’est parfait !