Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/178

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évoquait un assemblage de guenilles disparates ; il ne le battait jamais et l’appelait Tanka.

Grand-père lui demanda un jour :

— Pourquoi as-tu donné à cette bête un nom chrétien ?

— Moi, monsieur ? mais pas du tout. Tanka n’est pas un nom chrétien ; c’est Tatiana qui est un nom chrétien.

L’oncle Piotre, lui aussi, avait fréquenté l’école ; très versé dans les Saintes Écritures, il discutait souvent avec mon aïeul, et leur controverse portait sur le point de savoir lequel des saints était le plus saint. Les deux hommes condamnaient à l’envi les pécheurs de l’antiquité, Absalon surtout ; mais parfois, leur débat prenait un caractère violent :

— Laisse-nous, Alexis ! criait alors grand-père furieux, et ses yeux verts lançaient des éclairs.

Piotre aimait beaucoup l’ordre et la propreté ; quand il traversait la cour, il ne manquait pas de repousser du pied les os, les copeaux et les tessons qui traînaient, en murmurant à leur adresse :

— Tu es inutile et tu gênes !…

Il était loquace et semblait bon et joyeux ; mais parfois ses yeux s’injectaient de sang, se brouillaient et s’immobilisaient comme ceux d’un mort. Il s’asseyait alors n’importe où, dans un recoin obscur, pelotonné sur lui-même, sombre et muet.

— Qu’est-ce que tu as, oncle Piotre ?

— Va-t’en ! répondait-il d’une voix sourde et sévère.

Dans une des maisonnettes de notre rue habitait un monsieur affligé d’une loupe sur le front. Cet