Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/195

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fois, il les mit même aux prises avec le chat. À tout propos, il se plaignait de moi à grand-père, en grossissant les choses. Et cet homme m’apparaissait de plus en plus comme un gamin qui se serait déguisé en vieillard. De mon côté je m’ingéniais à me venger : je défaisais ses chaussures de tille ; j’entaillais les liens des bandes de toile qui lui servaient de bas et ils se déchiraient quand Piotre voulait les nouer ; un matin, je versai du poivre dans sa casquette, ce qui le fit éternuer pendant une heure entière. En général, je m’efforçais de ne pas demeurer en reste avec lui. Les dimanches, toute la journée, il me surveillait d’un œil vigilant et chaque fois qu’il me prenait en flagrant délit de désobéissance, à bavarder avec les petits nobles, il ne manquait pas d’aller immédiatement me dénoncer à grand-père.

Mes relations avec les trois garçonnets continuaient cependant et devenaient de plus en plus cordiales. Dans un étroit passage entre le mur de notre maison et la clôture des Ovsiannikof avaient poussé un orme, un tilleul et un gros massif de sureau ; profitant de ce retrait abrité, j’avais percé dans la palissade une ouverture exiguë en demi-cercle. L’un après l’autre, ou deux par deux, les frères s’en approchaient et nous causions, accroupis ou agenouillés. L’un d’entre eux montait toujours la garde afin que le colonel ne nous surprît pas.

Ils me racontaient leur vie monotone, me questionnaient à propos des oiseaux que j’avais attrapés, mais jamais ne prononçaient un mot au sujet de leur père ou de leur belle-mère. La plupart du temps, ils me priaient tout simplement de leur raconter une histoire ;