Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/218

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poésies, et ma mémoire se faisait de plus en plus rebelle en même temps que l’invincible désir de mutiler ces lignes égales en y ajoutant d’autres mots s’intensifiait en mon esprit. J’y parvenais sans difficulté ; les vocables inutiles venaient à mes lèvres par essaims, embrouillant très vite ce qui était écrit dans le livre. Souvent, il arrivait qu’une ligne tout entière m’était invisible, et quelques efforts que je fisse pour la saisir, elle se dérobait tout à fait à ma mémoire. Une plaintive élégie du prince Viazemsky, je crois, me causa beaucoup d’ennuis :

À l’heure matinale et à l’heure vespérale,
Beaucoup de vieillards, de veuves et d’orphelins…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Demandent la charité au nom du Christ.

J’oubliais régulièrement le troisième vers :

Passent sous les fenêtres avec leur besace.

Fort mécontente, ma mère racontait mes exploits à mon aïeul, qui disait d’un ton menaçant :

— C’est de l’espièglerie ! Il sait les prières mieux que moi ! Il ruse, il a une mémoire extraordinaire ; quand quelque chose s’est gravé en lui, c’est indéracinable. Tu devrais le fouetter !

Grand’mère me confondait aussi :

— Il se rappelle les contes, il se rappelle les chansons, et les chansons, n’est-ce pas aussi de la poésie ?

Tout cela était exact et je me sentais coupable ; mais dès que je me mettais à apprendre des vers, d’autres mots surgis on ne sait d’où rampaient