Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/231

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— André-papa, André-papa…

Tout le monde se taisait, on le regardait avec étonnement et sa mère expliquait d’un ton important :

— C’est du théâtre qu’il a rapporté cela ; on chante cet air au théâtre…

Il y eut deux ou trois de ces soirées, et j’en ai conservé le souvenir le plus mortellement ennuyeux qu’il soit possible d’imaginer. L’horloger ensuite vint chez nous de jour.

C’était un dimanche, immédiatement après la dernière messe. Installé dans la chambre de ma mère, je l’aidais à retirer les perles d’une broderie déchirée, lorsque la porte s’entre-bâilla et le visage effrayé de grand’mère apparut :

— Varioucha, il est là ! chuchota-t-elle.

Ma mère ne remua pas, et n’eut pas même un tressaillement ; la porte s’ouvrit de nouveau et grand-père, s’arrêtant sur le seuil, s’écria d’une voix solennelle :

— Varioucha, habille-toi et viens !

Sans se lever ni le regarder, ma mère demanda :

— Où dois-je aller ?

— Viens, te dis-je ! Trêve de discussion ! C’est un homme tranquille, qui connaît bien son métier : ce sera un bon père pour Alexis…

Grand-père parlait d’un ton grave et inusité.

Mère l’interrompit tranquillement :

— Je vous préviens que cela ne se fera pas…

Mon aïeul fit un pas vers sa fille et allongea les bras ; on eût dit qu’il venait de perdre brusquement la vue. Le dos voûté, il râla, tout hérissé de colère :