Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/234

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se signa ; je ne savais pas si c’était les sanglots ou le rire qui la secouaient ainsi.

— Qu’as-tu ? m’informai-je en courant à elle.

Elle m’arracha la jarre des mains, si brusquement, qu’elle répandit de l’eau sur mes chaussures et m’apostropha :

— Où donc as-tu été la chercher cette eau ? Ferme la porte !

Elle se rendit dans la chambre de ma mère et, de la cuisine où j’étais rentré, je les écoutai gémir.

La journée était claire ; par les deux fenêtres, à travers les vitres givrées, le soleil hivernal lançait ses rayons obliques ; sur la table dressée pour le dîner, la vaisselle d’étain étincelait, ainsi que les carafes remplies, l’une, de kvass roux, l’autre, d’une infusion d’eau-de-vie, de bétoine et de millepertuis, destinée à grand-père. Par places, les vitres débarrassées du givre laissaient voir sur les toits la neige scintillante ainsi que les petits bonnets d’argent qui coiffaient les pieux de la clôture. Aux montants des fenêtres, dans les cages inondées de soleil, mes oiseaux jasaient : les joyeux serins apprivoisés gazouillaient, les bouvreuils sifflaient, le chardonneret exécutait des roulades. Mais cette gaie et sonore journée ne me réjouissait pas, l’ennui m’envahissait et j’eus envie de donner la liberté à mes oiseaux. J’étais en train de descendre les cages, lorsque grand’mère fit irruption dans la pièce et courut au fourneau en ronchonnant.

— Ah ! les maudits ! Que la peste les emporte tous ! Vieille bête que je suis !

Elle sortit du four une pâte dont elle tapota la