Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/244

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Le lendemain, je me réveillai le corps couvert de taches rouges. C’était la petite vérole qui commençait. On m’installa au grenier dans une chambrette qui donnait sur la cour, mes bras et mes jambes solidement attachés au lit par de larges liens. J’étais aveuglé et d’affreux cauchemars me terrifiaient. Un d’eux m’épouvanta tellement que j’en faillis perdre la vie. Grand’mère seule venait me soigner ; elle me nourrissait à la cuiller, comme un petit enfant, et me racontait d’interminables histoires, toujours nouvelles. Un soir, alors que j’entrais en convalescence et qu’on m’avait laissé les membres libres, sauf les doigts emprisonnés dans des mitaines afin que je ne puisse pas me gratter la figure, grand’mère n’arrivant pas, je fus très alarmé de ce retard, quand elle m’apparut tout à coup : couchée derrière la porte, sur le plancher poudreux du grenier, les bras en croix face contre terre, elle avait la gorge tranchée, comme l’oncle Piotre. Un énorme chat, aux prunelles vertes et férocement dilatées, sortait de l’ombre poussiéreuse et se dirigeait vers elle.

Je sautai hors de mon lit ; des pieds et des épaules je brisai les deux cadres des fenêtres et je me jetai dans la cour, sur un tas de neige. Ce soir-là, ma mère avait des visites, personne n’entendit le bruit des vitres brisées et je dus rester ainsi assez longtemps exposé au froid du dehors. Je ne m’étais rien cassé : je m’étais seulement démis le bras à l’épaule et les éclats de verre m’avaient coupé en de nombreux endroits. Mais mes jambes furent percluses pendant près de trois mois. De mon lit, j’entendais la maison vivre d’une vie toujours plus bruyante et les